72h de NVA Ed2 – Le secteur agricole coincé entre amnésie, asymétrie et aphonie. Le cas de l’arachide au Sénégal

[Enhougban Séraphin Georges IVANHOE] Agriculteur, paysagiste.
[Adama DIOUF] Etudiant en Droit des Entreprises, Coordonnateur Njàccaar Visionnaire Africain à Toulouse.
[Cheikh Dieylar DIALLO] Membre de Njàccaar Visionnaire Africain.

Timing : 16h30-18h00 : Présentation. 19h00 -20h30 : Echanges

Gérant de 2 entreprises, paysagiste et créateur ANTHROPOSOLS d’ART, Enghoungban Séraphin Georges IVANHOE est aussi exploitant agricole dans le Lot. Surnommé le jardinier poète, il ouvre son intervention par une citation de Platon : « Il n’est personne jusqu’ici, fut-il sans culture, qui ne devienne poète quand de lui amour s’est emparé ». L’autre aurait dit « a-t-il craqué ? ». Au lieu de parler des vers de terre de son jardin, Séraphin préfère plutôt déclamer des vers sur la terre et l’amour qu’il lui porte. « Je suis passionné par la terre » dit-il. Et le lien avec la citation devient alors beaucoup plus clair.

La monoculture entraîne une perte de la biodiversité. Cette dernière est fondamentale pour le système du Vivant et son équilibre. Dans la nature, ou ce qu’il en reste, il est encore possible d’observer cette biodiversité sur 1m² de terre. En effet sur une telle surface vivent des bactéries, des insectes, des végétaux etc. Pour s’en rendre compte, il suffit d’observer voire de creuser un peu. Toutefois, quand l’Homme y plante de l’arachide, par exemple, cette bande de sol s’appauvrit à long terme et au final elle ne capte qu’une petite partie de l’ensemble des éléments chimiques présents dans la nature. Le sol s’appauvrit alors. De plus en Afrique, les sols sont qualifiés de « vieux » et se dégradent vite contrairement aux sols en Europe où le climat est tempéré et les terres « jeunes ». Ces quelques raisons poussent Séraphin à penser que la monoculture, malgré ses avantages, atrophie les économies des pays africains qui la pratiquent toujours.

 

Le mot « arachide » provient de « arachidna » une plante originaire du Brésil et du Pérou. Pourtant c’est le terme « cacahuète » qui aurait été plus précis pour designer cette plante oléagineuse mesurant 75 cm au plus et dont le cycle végétatif dure 3 mois environ. L’arachide est la 4ème plante alimentaire mondiale après le riz, le maïs et le blé.

Le 1er producteur mondial d’arachide est la Chine, suivi de l’Inde, de l’Argentine et des Etats-Unis. Le Nigéria est le 1er producteur d’arachide en Afrique. Le choix de la filière arachidière au Sénégal s’explique par sa spécificité tant dans son introduction au XIXe par les colonisateurs Français que par son essor et son importance dans l’économie du pays.

L’arachide est introduite au Sénégal vers la fin de la 1ère moitié du XIXe siècle. Son introduction s’explique principalement par des raisons économiques  que sont l’abolition de la traite négrière et le déclin de la gomme arabique. L’arachide devient une économie de substitution pour les colons Français. Appelé symboliquement « Or du Sénégal » pour la couleur jaune de sa fleur et la richesse qu’elle représente. En moins d’un siècle, la culture de l’arachide au Sénégal a profondément bouleversé l’organisation sociale de plus d’un tiers de la population. Le Sénégal est entre autre qualifié de pays de monoculture extrême au point qu’une autorité du pays laissait un jour entendre que lorsque l’arachide se porte bien tout va bien.

Même si le pays de la Teranga (hospitalité en langue Wolof) ne figure pas parmi les premiers producteurs mondiaux d’arachide, il est tout de même le 1er producteur d’huile d’arachide. Le Sénégal n’en demeure pas moins importateur d’huile de tournesol. Les principaux acteurs de cette filière sont essentiellement les producteurs, les distributeurs et les commerçants. Les transformateurs peuvent aussi être ajoutés, surtout avec la délocalisation au Sénégal de la transformation par la firme Lesieur pendant la seconde guerre mondiale. Qu’ils soient paysans, propriétaires terriens, chefs religieux tout simplement saisonniers, les acteurs de la production ont été et demeurent aujourd’hui encore les acteurs les plus faibles de la filière. Victimes de et quelquefois coupables, ils souffrent de la spéculation des acheteurs, des prix fixés sans leurs consultations, de bons impayés, des fluctuations du marché intérieur et extérieure, des politiques libérales de l’Etat et des plans d’ajustement structurel des institutions financières internationales : Banque Mondiale, Fond Monétaire Internationale et l’Organisation Mondiale du Commerce.

Sous le prisme des producteurs, certes mais pas seulement, le constat est effrayant : le secteur est en crise. Celle-ci ne date pas d’aujourd’hui. Les maux qui gangrène la filière remontent à ses débuts et pourtant perdurent. En 2001, l’Etat dissout la Sonagraine et libéralise la collecte alors que l’histoire a déjà montré les limites de cette libéralisation. Bons impayés de la part des intermédiaires ou collecteurs, méfiance et spéculation, bradage de la production dans les loumas (marchés hebdomadaires) à des prix atteignant souvent la moitié du prix fixé par l’Etat. La mauvaise gestion des semences et des récoltes des paysans les entraîne dans un cercle infernal de dettes. La culture de l’arachide épuise et appauvrit les sols poussant les paysans à augmenter les surfaces cultivés. Les sols sont en danger et les terres sont bradées aux étrangers. Surproduction et lieux de stockage inexistant ou inadaptés. Enfin des politiques agricoles incohérentes, avouant du moins en apparence un pilotage à vue, voire soumises au diktat extérieur sans oublier la baisse du cours des matières premières depuis 1970. Résultat des courses, le secteur est en pleine crise, dont les acteurs s’entendent unanimement sur son existence et son caractère avancé. Pour toutes ces raisons l’avenir de l’arachide au Sénégal est plus que menacé. Que faire alors?

Ne conviendrait-il pas de tirer les enseignements des erreurs du passé, ce avant toute chose ? Au moins cela permettrait de faire de nouvelles erreurs et de sortir du comportement amnésique qui semble caractériser le siècle et demi passé. Ensuite l’Etat comme les producteurs devront entamer la sortie de la monoculture de rente, valoriser et diversifier les utilisations de l’arachide, produit dont la totalité, la plante comme la coque et le fruit peuvent servir à l’Homme ou aux bêtes de somme.

Ainsi l’asymétrie des moyens de décision et donc de pression entre l’Etat ou les intermédiaires et les producteurs d’une part et les institutions financières internationales et l’Etat d’autre part pourrait diminuer voire disparaître, laissant place à une véritable souveraineté du Sénégal, par extension des Etats Africains, synonyme de protection des marchés locaux id est des producteurs.

Nous sommes alors convaincus que ces derniers se libérant de l’étau de la dépendance multiforme, celle-ci accrue par le capitalisme financier et la mondialisation, pourront oser et proposer de nouveaux modes de vie donc une nouvelle façon de consommer, proactive et plus participative. Ils recentreront le système sur l’Homme et viendront alors et enfin à bout de cette aphonie des décideurs.

L’épanouissement à partir de la base, voilà le défi que l’Afrique, et l’humanité en général, doit relever pour son progrès, aujourd’hui sa survie.

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